Dans la Terre de Rupert et dans le Nord-Ouest, avant la création du Manitoba en 1870, il n’existait pas de façon évidente de classer les gens pour refléter la dualité Français-Anglais qui avait caractérisé l’Amérique du Nord britannique depuis 1763 — en particulier dans le Haut et le Bas-Canada/Canada de l’Ouest et de l’Est (Ontario et Québec) — et qui persista après la création du Dominion du Canada en 1867. Voici deux exemples illustrant l’évolution des attitudes au fil du temps relativement à la classification.
a) Définitions, 1818:
En 1818, dans le contexte de la résolution des violents affrontements dans la colonie de la Rivière-Rouge entre la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) et sa rivale, la Compagnie du Nord-Ouest (CNO), des procès se sont déroulés aux assises de York, dans le Haut-Canada. Le sténographe judiciaire, Samuel Hull Wilcocke, essaya de préciser qui s’en prenait à qui en établissant des catégories pour les personnes associées au commerce des fourrures de l’époque. Selon les définitions de Wilcocke :
- le terme English/Anglois [sic] signifiait : « An Englishman, the English », mais, dans le contexte du commerce des fourrures, il « s’appliquait aussi exclusivement aux personnes qui étaient au service de la Compagnie de la Baie d’Hudson », qu’elles soient anglaises, françaises ou Sang-Mêlé (Half-breeds) ».
- De même, même si le terme French/François [sic] signifiait « A Frenchman, the French », dans le contexte du commerce de fourrures, il « s’appliquait exclusivement aux commerçants de fourrures canadiens », sans tenir compte du pays, de la langue ou de la nation.
- Il remarqua que Half-breeds était un terme anglais synonyme des termes français Métiʃs [sic : long s dans la source] et Bois-brulés. Ces trois termes étaient des « noms donnés à la population mixte du Nord-Ouest issue d’Européens ou de Canadiens ayant eu des liens avec des Indiennes ».[i]
Donc, à l’époque où Wilcocke écrivait, dans le contexte du commerce de fourrures, French signifiait « opérant de Montréal » et English signifiait « opérant de l’Angleterre » — sans égard à l’origine culturelle, à la langue parlée ni à la nationalité de la personne associée au commerce des fourrures.
b) Définitions, 1870 :
En 1869–1870, il semble qu’on ne savait pas très bien qui était « Français » et qui était « Anglais » dans la colonie de la Rivière-Rouge.[ii] Selon la personne qui faisait le classement et pour quelle raison, quelqu’un pouvait fort bien appartenir à l’une ou l’autre des catégories — parfois en raison de ses origines culturelles, des langues qu’il parlait ou de sa nationalité, et parfois aussi sans que l’on tienne compte de ces facteurs.
Pour le savoir, il semble que cela dépendait d’abord de l’endroit où la personne vivait, ensuite de ses antécédents, et enfin si elle parlait l’une ou l’autre langue (même si, peut-être, on ne tenait pas toujours compte de ces critères dans cet ordre-là).
À la Rivière-Rouge, les gens habitaient dans des paroisses. Une paroisse était « française » si la première église construite à cet endroit avait été instaurée par les autorités catholiques du Québec, et une paroisse était « anglaise » si la première église construite à cet endroit avait été instaurée par une autorité protestante de Grande-Bretagne.
Parfois, la paroisse de Kildonan, où les premiers colons parlaient le gaélique, était une paroisse anglaise (c’est-à-dire « pas française »), mais d’autres fois, elle était « écossaise » — la première église construite à cet endroit-là était presbytérienne. De même, la paroisse de St. Peter’s semble aussi avoir eu une double identité. Parfois, on la considérait comme la « paroisse indienne », parce qu’elle était située sur le territoire de la Première nation de Peguis et habitée par des membres de cette bande. Parfois aussi, cependant, St. Peter’s était une paroisse « anglaise » — par exemple pendant les élections de l’Assemblée législative d’Assiniboia. Dans ce cas, il s’agissait peut-être de refléter le fait qu’un certain nombre de familles métisses liées au commerce des fourrures de la Compagnie de la Baie d’Hudson habitaient dans la paroisse (la population y parlait notamment anglais/bungee et surtout « pas français »), ou bien cela s’expliquait parce que la première église construite à cet endroit-là avait été instaurée par un ordre religieux protestant de Grande-Bretagne.
La paroisse de St. Andrew’s était aussi « anglaise », alors qu’en 1830, les paroissiens étaient des « halfbreeds orcadiens, anglais, écossais, français, gallois, norvégiens, noirs et juifs », et aussi parlaient le Bungee.[iii]