La création du Manitoba a été un exercice d’habileté politique. La langue se prêtant à cet exercice était celle que la puissance coloniale dominante de l’époque, soit la Grande-Bretagne, utilisait pour afficher sa prééminence politique à l’échelle internationale. Cette langue était bien évidemment l’anglais – même si les autorités coloniales et les diplomates britanniques correspondaient et négociaient aussi en d’autres langues.
Par exemple, dans les transactions avec le Canada, le discernement politique britannique incluait aussi l’utilisation du français. La création du Dominion du Canada avait donné naissance à une colonie britannique autonome où la langue française dominait dans une partie (Bas-Canada/Canada-Est/Québec et certaines parties du Nouveau-Brunswick), et où la langue anglaise dominait dans une autre (Haut-Canada/Canada-Ouest/Ontario et certaines parties du Nouveau-Brunswick, ainsi que pratiquement toute la Nouvelle-Écosse). La confédération initiale de ces colonies britanniques en un dominion avait protégé le français comme langue canadienne dans la sphère politique.[i]
Des représentants canadiens francophones et anglophones participèrent aux négociations sur le transfert du territoire de la Compagnie de la Baie d’Hudson en Amérique du Nord à la Couronne, puis de la Reine Victoria au Canada. Les politiciens canadiens tant francophones qu’anglophones avaient des intérêts en jeu dans l’expansion géographique du Canada par l’annexion des vastes étendues de la Terre de Rupert (qui incluait des parties de la péninsule du Labrador et de ce qui est aujourd’hui le Nunavut) et du Nord-Ouest.
S’ils songeaient à négocier avec le Canada d’une façon acceptable aux yeux de la Couronne et du Parlement de Grande-Bretagne, et digne du respect de la communauté internationale, les politiciens de la colonie de la Rivière-Rouge à Assiniboia devaient respecter les conventions linguistiques et les réalités culturelles du « pays étranger » du Canada.[ii] Par conséquent, ils devaient prêter une attention toute particulière aux questions se rapportant à la dualité français-anglais.
Dans la colonie de la Rivière-Rouge du « pays » d’Assiniboia, ce sont les langues autochtones qui dominaient. Mais, la puissance coloniale de Grande-Bretagne ne considérait pas les langues autochtones comme des langues se prêtant à la conduite des affaires publiques. Le colonialisme britannique était teinté de vanité, de préjugé et d’arrogance. Il avançait en premier lieu la supériorité mythique « anglo-saxonne ».[iii] Les peuples autochtones n’étaient pas classés parmi les « Anglo-Saxons ».[iv] En 1869, la plupart des peuples autochtones d’Amérique du Nord (et les peuples indigènes du monde entier), n’étaient pas considérés par les autorités britanniques, ni par les autorités des colonies (notamment le Canada), comme des nations capables de produire des hommes d’État suffisamment évolués pour participer à la gestion des affaires politiques.
Par conséquent, même si les membres du Gouvernement provisoire d’Assiniboia, notamment les législateurs, s’exprimaient peut-être plus facilement dans une langue autochtone qu’en français ou en anglais, et même s’ils débattaient peut-être entre eux dans des langues autochtones, toutes les activités gouvernementales officielles menées à la Rivière-Rouge étaient consignées et publiées uniquement en français ou en anglais, ou dans les deux langues.